[La mort d’Aotourou]

          L’indien de Taïty, nommé Mayoa¹, s’embarqua avec M. Marion le 18 octobre 1771. Les deux bâtimens, savoir le Mascarin², commandé par M. Marion, & le Marquis de Castries³, commandé par M. le chevalier Duclesmeur, relâchèrent d’abord à l’île de Bourbon. L’Indien y fut attaqué de la petite-vérole*, dont vraisemblablement il avoit emporté le germe de l’île de France, où cette épidémie faisoit les plus cruels ravages lors du départ des vaisseaux.

          M. Marion, obligé de s’éloigner de l’île de Bourbon, par la crainte de communiquer à cette colonie une maladie qui y est regardée comme aussi dangereuse que la peste, alla relâcher dans la baie du Fort-Dauphin4, sur l’île Madagascar, pour donner le temps à la maladie de faire son effet, & pour éviter de la porter au cap de Bonne-Espérance, où il étoit obligé d’aller achever son approvisionnement.

          Le lendemain de notre ancrage dans la baie de Fort-Dauphin, le Taïtien Mayoa mourut⁵, & il fut dressé un procès-verbal de sa mort.

        Le premier objet de l’expédition ne pouvant plus avoir lieu par la mort de cet Indien que nous devions reconduire dans sa patrie, il eût peut-être été plus convenable dans cette circonstance de ramener les vaisseaux à l’île de France, & de les désarmer pour être employés à une autre destination. Mais le désir de faire des découvertes utiles & de se distinguer par un voyage nouveau, l’emporta dans l’esprit de l’armateur sur toute autre considération⁶.


¹ Aotourou semble être son nom exact, adopté lors de l’échange rituel des noms à la première rencontre, puisqu’il figure dans la plupart des écrits et sous la plume de BOUGAINVILLE lui-même (le nom Poutavery, parfois utilisé, correspondrait à la déformation du nom d’origine).

² Un contrat signé le 10 octobre 1771 par l’intendant de la marine représentant le roi de France et MARION stipule que le Mascarin lui est cédé pour le voyage à Tahiti. Il s’agit d’une flûte de 450 tonneaux, véritable navire de charge propre à la navigation lointaine armée de 22 canons, baptisée du nom d’un oiseau endémique de l’île de la Réunion, mais aujourd’hui disparu. Le portrait qui se dessine est le suivant : un bâtiment d’environ 120 pieds de long de l’étrave à l’étambot (39 m), deux ponts, un gaillard avant et un gaillard arrière. Traité avec M. Marion du Fresne, capitaine de brûlot, relativement à la cession que le Roi lui a faite de la flûte le Mascarin, pour le voyage de Cythère ordonné par la cour. Archives Nationales, fonds Marine, B/4/317, n°20.

³ Le Bruny a été acheté à 59 000 livres le 6 juin 1771 par avance du roi de France, puis rebaptisé. Il semble qu’il s’agisse d’un navire de 700 tonneaux, armé de 16 canons, une flûte également, dont la carrière continue après 1772 dans les Indes sous l’armement DESSAUDRAIN SEBIRE.

* Variole.

4 Tôlanaro ou baie de Lokaro située au sud-est de Madagascar (latitude 25°01’55 » Sud, longitude 46°59’42 » Est).

⁵ Le 6 novembre 1771.

⁶ Le second exprime une délicate désapprobation, comme le fera l’intendant des îles de France et de Bourbon, Pierre POIVRE, dans sa lettre du 7 février 1772 : Si dans ce moment, j’avais été à portée de M. Marion, j’aurais arrêté son expédition dont l’objet ordonné par le Roi ne pouvait plus avoir lieu depuis la mort de l’indien Poutavéri…