Voyage à la Mer du Sud

MARION-DUFRESNE Marc Joseph. NOUVEAU VOYAGE A LA MER DU SUD

Mois : janvier, 2015

Débarquement à une des Iles Australes. Observation faites à cette Ile.

          Dès que j’eus mis pied à terre, mon premier soin fut de déposer, selon l’usage, la bouteille qui renfermoit l’acte de prise de possession, sur le sommet d’une pyramide élevée de 50 pieds¹ au dessus du niveau de la mer, & formée par de grosses roches entassées les unes sur les autres². L’endroit où j’ai débarqué ne présente que des pierres.

         Je gagnai aussitôt une éminence, d’où je découvris de la neige en plusieurs vallées : la terre paroissoit aride, couverte d’un petit gramen* très-fin. J’y remarquai plusieurs de ces plantes grasses qu’on nomme ficoïdes, semblables à celle qui sont si communes au cap de Bonne-Espérance³. En revenant sur le bord de la mer, j’y remarquai un petit jonc très-fin ressemblant à un gramen, des cristes marines* ; les rochers étoient couverts de mousse & de lichen ; le rivage étoit garni d’une espère de jonc de la hauteur d’un pied*, semblable à celui qui se trouve au cap de Bonne-Espérance. Le goêmon qui bordoit la côte étoit d’une grosseur extraordinaire, & portoit des feuilles très larges.

          Je ne pus découvrir dans cette île aucun arbre ni arbrisseau. Je n’y au pas resté assez long-temps pour y trouver de l’eau douce, mais il y a apparence qu’on y en trouveroit dans les vallées que j’ai apperçues de l’éminence où j’étois monté.

          Cette île, exposée aux ravages continuels des vents orageus de l’ouest, qui règnent toute l’année dans ces parages, ne paroît pas habitable. Je n’y ai trouvé que des loups marins, des pingoins, des damiers⁴, des envergures, des cormorans, des plongeons, & de toutes les espèces d’oiseaux aquatiques que les navigateurs rencontrent en pleine mer, lorsqu’ils passent le cap de Bonne-Espérance. Ces animaux, qui n’avoient jamais vu d’hommes, n’étoient point farouches, & se laissoient prendre à la main. Les femelles de ces oiseaux couvoient leurs œufs avec tranquillité ; d’autres nourrissoient leurs petits ; les loups marins continuoient leurs sauts & leurs jeux en notre présence, sans paroître le moins du monde effarouchés.

          Je remarquai avec surprise un pigeon blanc, que étoit sans doute égaré de quelque terre voisine. On pourroit, ce me semble, en augurer que nous n’étions pas fort éloignés d’une terre plus considérable, & qui produit des grains propres à la nourriture des pigeons⁵. La rencontre d’une glace très-grosse dans un parage situé au milieu de la zone tempérée, vient encore à l’appui de cette opinion. La route de M. Bouvet ne pouvoit plus nous détourner de chercher dans cette partie les terres de Gonneville. J’ai déjà observé que M. Bouvet, après avoir découvert le cap de la Circoncision par 55°, avoit été obligé de reprendre du nord, & n’avoit pas poussé ses recherches au-delà du 32e degré à l’orient du méridien de Paris. De ce point, il s’étoit élevé dans le nord pour aller à l’île de France. A celui où nous étions, tout nous promettoit la découverte du continent austral, si nous avions pu nous avancer au S. E., mais malheureusement l’état où se trouvoit le vaisseau le Castries depuis son démâtement, ne permettoit pas à M. Marion de suivre, dans toute son étendue, le projet bien réfléchi qu’il avoit formé pour la découverte de ces terres.


¹ Un pied, unité de longueur ancienne, équivaut à 32,5 cm, soit un monticule d’environ 1,60 mètres.

² L’auteur prend le soin de décrire la manière de signaler la prise de possession probablement en usage dans les marines européennes occidentales de l’époque.

* Plante issue de la famille des graminées ; se dit de l’herbe rase.

³ Nom vernaculaire donné aux plantes tapissantes et florifères de la famille des Aizoacées, voisines des cactées, principalement originaires d’Afrique et du cap de Bonne-Espérance.

* Crithmum maritimum ou fenouil marin.

* De plus de 30 cm.

⁴ Le damier du Cap (Daption capense) appelé aussi pétrel du Cap habite dans les régions subantarctiques et antarctiques, mais peut remonter avec les courants froids jusqu’à l’Équateur. Il est sédentaire des îles de l’archipel des Crozet.

⁵ La ressemblance est certaine, mais l’oiseau dont parle CROZET est un chionis blanc (Chionis albus) dit aussi bec-en-fourreau. Son plumage est blanc, il possède de fortes pattes non palmées et un profil plutôt rondelet. Il est adapté au climat rigoureux. C’est un oiseau omnivore côtier qui vit majoritairement à terre parmi les colonies de manchots. Principalement localisé dans la péninsule antarctique. le chionis blanc peut migrer sur des centaines de kilomètres sans se poser ou alors en profitant des icebergs.

[La prise de possession]

          Depuis la vue des premières terres que nous laissions derrière nous, nous ne cessions de voir tous les jours du goêmon, des goëlettes, des plongeons*, des pingoins* & des loups marins. Nous eûmes constamment du brouillard, de la pluie & un froid excessif jusqu’au 24 janvier, jour auquel nous vîmes de nouvelles terres. Elles nous parurent d’abord former deux îles, & j’en dessinai la vue à la distance de huit lieues* ; & bientôt on les prit pour deux cap, & l’ont crut voir dans l’éloignement une continuité de terre entre deux. Un moment après, le brouillard & la nuit ne nous permirent plus de les voir. Elles sont situées par 46° 5’ sud, & par la longitude estimée à l’est du méridien de Paris, de 42°. M. Marion les nomma les îles Froides1. On peut en voir les relèvemens dans les planches qui sont à la fin de cet ouvrage².

         Nous fîmes peu de voile toute la nuit, & nous nous entretînmes dans le même parage, nous proposant de reconnoître mieux ces terres le lendemain ; mais le 23 nous ne pûmes pas les revoir³. Suivant les apparences, nous nous en étions écartés pendant la nuit ; le temps d’ailleurs étoit brumeux : nous eûmes de la pluie. Nous nous trouvâmes dans des lits marés qui couroient fortement nord & sud.

         Le même jour 23 janvier nous faisions route à l’est. Le vaisseau le Castries qui nous suivoit fit signal de terre*. C’étoit une île très-haute qui me parut terminée par un gros cap3. Je l’ai relevée à l’est-sud-est, distant de dix à douze lieues*. Nous avons fait route pour approcher cette terre ; mais, lorsque nous n’étions plus qu’à six ou sept lieues, une brume épaisse qui a duré plus de douze heures, nous en a dérobé la vue. Malgré ce fâcheux contre-temps, M. Marion a fait ce qu’il a pu pour s’en approcher. Nos équipages ne manoeuvroient qu’avec peine, à cause de la pluie continuelle & du froid. Nos matelots n’étoient pas vêtus assez chaudement pour un climat dont l’été est plus rigoureux que l’hiver sur les côtes de France. Une glace considérable4 que nous apperçumes le même jour à cinq heures du soir, peut donner une idée du froid que nous éprouvions.

         Le 24 nous revîmes à trois heures du matin la même île que nous avions découverte la veille. Il ventoit peu : la mer étoit cependant agitée, mais le temps étoit moins brumeux. M. Marion donne ordre de l’approcher, & de la contourner. Je vis cette île à la distance de deux lieues très-distinctement*. Sa forme est ronde ; elle est si élevée, qu’on pourroit dans un beau temps, la découvrir de vingt lieues*. Le sommet des montagnes étoit couvert de neige.

         A neuf heures du matin nous apperçumes dans le S. E. une autre île qui me parut encore plus élevée que celle dont nous rangions la côte. Elle étoit également de forme ronde, plus montueuse* que la première, mais plus petite ; nous la nommâmes l’île Aride⁵. Ces deux îles gisent E. & O. l’une de l’autre à la distance d’environ neuf lieues de cap en cap⁶. A onze heures, M. Marion fit mettre un canot à la mer, & m’ordonna de m’y embarquer pour aller prendre possession, au nom du Roi, de la plus grande des deux îles, qui est située par la latitude méridionale de 46° 30’, & par la longitude estimée à l’orient du méridien de Paris, de 43°. M. Marion la nomma l’île de la Prise de possession⁷. C’étoit la sixième île que nous découvrions dans cette partie australe⁸.


* Oiseaux aquatiques de la famille des gaviidés.

* Pingouin, nom vernaculaire donné souvent par erreur au manchot (oiseaux de la famille des sphéniscidés inaptes à voler et vivant dans l’hémisphère sud).

* Environ 45 km.

¹ Les îles Froides correspondent au groupe occidental de l’archipel des îles Crozet (latitude 46° 24′ 41″ Sud, longitude 51° 45′ 22″ Est) et comprennent les Cochons, les Apôtres et les Pingouins.

² L’ouvrage étudié ne dispose pas de cette planche ; il ne semble pas que ce soit une erreur commune à toutes les éditions.

³ Une certaine confusion flotte dans la datation ; mais l’auteur précise bien que le 23 janvier, ils n’ont pas revus les îles découvertes la veille. L’explication se trouve peut-être dans la rédaction, mais aussi dans un défaut d’observations provoqué par la découverte d’un d’archipel à l’occasion d’une navigation complexe.

* Signaux maritimes convenus lors d’une expédition.

3 L’île de la Possession (latitude 46° 24′ 41″ Sud, longitude 51° 45′ 22″ Est) est l’île principale de l’archipel et elle fait partie du groupe oriental. Le pic du Mascarin culmine à 934 mètres.

* Environ 60 km.

4 Il doit s’agir d’un iceberg.

* 11 km.

* Plus de 110 km.

* Montagneuse.

⁵ L’île de l’Est se trouve à 18 km de l’île de la Possession. Son sommet, actuellement le mont Marion-Dufresne, en effet le plus haut de l’archipel, atteint 1050 mètres. Sa superficie (140 m²) est légèrement plus faible que celle de l »île de la Possession (150 m²).

⁶ L’estimation de la distance qui sépare l’île de l’Est de l’île de la Possession paraît très exagérée.

⁷ En tant que second de MARION, Julien CROZET assure la prise de possession qui se matérialise habituellement par un débarquement à terre et une signalisation du passage des explorateurs au nom du royaume qui peut prendre différentes formes.

⁸ La septième en réalité. : archipel du Prince-Édouard (deux îles), archipel des Crozet (cinq îles).

[Premières avaries]

          Le lendemain 14 janvier nous revînmes chercher la première terre d’Espérance que nous avions découverte la veille, & que la brume, jointe à la violence des vents, nous avoit empêchés de reconnoître. Nous en approchâmes à six lieues*. Nous sondâmes de nouveau, & nous trouvâmes encore fond à 80 brasses*, sable fin mêlé de débris de coquillages. En approchant de la terre, j’y remarquai dans sa partie du N. O. un enfoncement formé par des pointes basses & coupées net. Nous n’étions pas assez près pour distinguer si cette terre a des arbres ; elle étoit d’ailleurs embrumée ; mais elle nous parut très-verte. Le sommet des montagnes étoit fort élevé & couvert de neige¹. Ces montagnes sont assez hautes pour être vues de douze lieues en mer*. Nous nous proposions de chercher un mouillage dans l’enfoncement qui étoit devant nous, & de reconnoître exactement cette terre, lorsque nos deux vaisseaux s’abordèrent en se préparant à sonder. Le Castries perdit dans cet abordage ses mâts de beaupré & de misaine2. Nous perdîmes nos aubans d’artimon3, le couronnement de notre dunette, notre bouteille de tribord4, & plusieurs cages à poules5. Cet accident dérangea nos projets. Heureusement le vent avoit calmé, & la mer étoit belle. Nous envoyâmes au Castries trois mâteraux* & des charpentiers pour le remâter. Cette réparation nous occupa trois jours, & le temps fut favorable.

          Mais le vent étant devenu violent, nous abandonnâmes notre découverte, & nous continuâmes notre route en suivant le parallèle de 46’ sud⁶.

          Je ne puis me dispenser de remarquer que les brumes épaisses & presque continuelles qui règnent dans ces parages, mettant un grand obstacle aux recherches, & rendent la navigation extrêmement dangereuse. Dans l’état où étoit le Castries, nous n’osâmes pas nous avancer davantage dans le sud. Ayant vu les montagnes de la terre de l’Espérance couvertes de neiges, il étoit vraisemblable qu’à quelques degrés plus sud nous eussions trouvé, comme M. Bouvet, la mer embarrassée de glaces⁷.


* Plus de 33 km.

* Une profondeur de 130 mètres.

1 Le sommet culminant à 1 242 mètres, le Mascarin Peak, est constamment enneigé.

* Plus de 66 km.

2 Le mât de beaupré est incliné à l’avant en surplombant l’étrave.

3 Il s’agit des câbles qui servent à raidir et maintenir verticalement le mât d’artimon qui se trouve à l’arrière du navire, avant le grand mât.

4 Les parties hautes du gaillard arrière, la saillie au niveau de la poupe – en forme de bouteille à l’envers – qui sert de lieu d’aisance aux officiers du Mascarin, ont été touchées lors de l’abordage et de la collision avec l’avant du Marquis de Castries.

5 La dunette sert à entreposer les cages qui enferment les volailles vivantes qui serviront le plus souvent de repas aux officiers.

* Mâts de petites dimensions servant en cas de réparation.

⁶ Le tracé du parallèle, qui correspond à la latitude 46° sud qui coupe la pointe sud de l’Amérique du Sud, passe au sud du Cap de Bonne-Espérance, de l’océan Indien et de l’Australie.

⁷ À cette latitude, les tempêtes sont violentes et peuvent empêcher quotidiennement l’approche des côtes, les précipitations sont toujours abondantes, la température moyenne est de 5°C. Mais pendant le printemps ou l’été austral, le froid n’est pas polaire.

Découvertes de quelques Iles Australes

          Le 13 janvier nous vîmes à six heures du matin les goëlettes, les poules mauves & quelques autres oiseaux qui ne s’éloignent jamais beaucoup de terre, revenir de la partie de l’ouest. Nous faisions route à l’est-sud-est. Nous vîmes une quantité de loups marins, & la mer étoit couverte de goêmon. Nous jetâmes la sonde sans trouver de fond à 130 brasses*.

          A deux heures après midi nous fûmes enveloppés d’un brouillard assez épais ; nous eûmes de la pluie. La mer étoit belle & unie ; mais il y avoit une houle de la partie de l’ouest. A quatre heures le vent fraîchit. Nous laissâmes tomber la grande voile : la mer parut changée.

          A quatre heures & demie nous découvrîmes la terre qui s’étendoit de l’ouest-sud-ouest à l’ouest-nord-ouest, distante de quatre à cinq lieues¹. Comme le brouillard étoit épais, & que nous pouvions nous tromper, nous sondâmes, & nous eûmes le fond à 80 brasses, gros sable mêlé de corail². Nous vîmes en même temps très-clairement une autre terre dans le nord.

          Suivant notre route & le gisement de notre première terre, dont le milieu nous restoit à l’ouest, nous l’avions rangée* pendant la nuit à trois lieues de distance au plus* : nous l’avions prolongée à peu près suivant sa direction, jusqu’au moment où nous la vîmes derrière nous. Avant de la voir, j’avois remarqué que, depuis minuit jusqu’à quatre heures du matin, la mer avoit été unie & tranquille, comme si elle avoit été à l’abri des terres, & qu’il y eût fond.

          Dès que nous vîmes cette première terre qui restoit derrière nous, j’en fis les relèvemens, & je me hâtai d’en dessiner la vue, crainte que le brouillard ne nous la laissât pas voir long-temps. Nous n’en vîmes qu’environ six à sept lieues de côté* ; mais nous ne la vîmes pas terminée dans sa partie O. N. O. ni dans sa partie du S. E., de sorte qu’il est possible que cette terre soit très étendue, & fasse peut-être partie du continent austral. Elle me parut très-élevée, couverte de montagnes doublées & triplées les unes dessus des autres. Le brouillard nous en déroba promptement la vue. M. Marion la nomma Terre d’Espérance³, parce que sa découverte nous flattoit de l’espoir de trouver le continent austral que nous cherchions. Elle étoit trop embrumée pour que nous pussions découvrir si elle avoit de la verdure & pouvoit être habitée⁴.

          A la vue de ces terres à l’ouest & au nord, M. Marion craignant d’être dans une baie, d’autant qu’on croyait voir encore de la terre dans le S. E., fit porter au nord. Alors le vent augmenta ; le mer devint très-grosse. Nous tentâmes inutilement de doubler l’île du nord au vent : nous la rangeâmes sous le vent⁵. Avant le mauvais temps j’avois pris les relèvemens & dessiné la vue de cette île, dont nous n’avions pas vu la partie du N. O. Je remarquai en rangeant cette île, qu’à sa partie du N. E. il y avoit une anse, vis-à-vis de laquelle paroissoit une grande caverne. Autour de cet antre, on voyoit une multitude de grosses taches blanches, qui ressembloient de loin à un troupeau de moutons. Il y avoit apparence que si le temps l’eût permis, nous eussions trouvé un mouillage vis-à-vis de cette anse. Je crus y appercevoir une cascade qui tomboit des montagnes. En doublant l’île, nous découvrîmes trois îlots qui en étoient détachés, dont deux étoient en dedans d’un grand enfoncement que forme la côte, & le troisième terminoit sa pointe septentrionale. Cette île nous parut aride, d’environ sept à huit lieues de circonférence, sans verdure ; sa côte assez saine & sans danger, M. Marion la nomma l’île de la Caverne⁶. Ces deux terres australes sont situées par la latitude de 46 degrés 45 minutes sud, & par 34 degrés 31 minutes à l’est du méridien de Paris⁷, un demi-degré à l’est de la route suivie par M. Bouvet, pour la recherche des terres de Gonneville.

Île Marion (NASA EO-1 ALI satellite image, 5 May 2009)

Île Marion (NASA EO-1 ALI satellite image, 5 May 2009)

Île du Prince-Édouard (NASA EO-1 ALI satellite image, 5 May 2009)

Île du Prince-Édouard (NASA EO-1 ALI satellite image, 5 May 2009)


* Plus de 200 mètres de fond.

¹ Une lieue marine équivaut à trois milles marins (5,556 km), soit une distance estimée ici d’environ 25 km.

² La sonde a atteint le fond, cette fois, au bout de 130 mètres. Sa nature est même consignée grâce au suif ou goudron déposé sur la base creuse du plomb.

* Passer le plus près possible.

* Près de 17 km.

* De 33 à 38 km.

³ Île Marion en océan Indien (latitude 46° 54′ 22″ Sud, longitude 37°44′ 13″ Est). C’est une zone inhabitée jusqu’au 19e siècle durant lequel les pêcheurs s’en servent probablement de base pour chasser. Sa végétation est rase (lichens, fougères), elle correspond à un climat venteux, pluvieux et froid. Son relief se singularise par un point culminant entouré de plusieurs autres sommets.

⁴ L’île n’a jamais été habitée.

⁵ La première idée est de contourner l’île du côté où le vent porte, mais finalement le navire passe du côté de l’île qui n’est pas exposé au vent.

⁶ Île du Prince-Édouard (latitude 46°38′ 10″ Sud, longitude 37°56′ 24″ Est). Elle se caractérise par de hautes falaises atteignant presque 500 mètres d’altitude, par un relief culminant à 672 mètres et par des abords très rocheux.

⁷ L’archipel du Prince-Édouard, d’origine volcanique, est localisé dans la zone des quarantièmes rugissants. Il appartient au groupe des îles subantarctiques. Sa superficie totale est de 317 km² (47 km² pour l’île Île du Prince-Édouard et 298 km² pour l’île Marion), elles sont séparées de 22 km.

          Le 11 j’observai 45° 43’ de latitude sud ; la longitude estimée étoit au même instant de 28° 46’ à l’est du méridien de Paris.

          Quoique le mois de janvier, dans l’hémisphère austral*, réponde au mois de juillet dans l’hémisphère boréal*, nous ressentions dans le fort de l’été, sous ce climat qui semble situé au milieu de la zone tempérée, un froid violent. La neige qui tomba pendant presque tout le temps que nous demeurâmes dans ce parage, ne permettoit pas d’attribuer à un changement subit de climat le froid que nous éprouvions.

          Le 18 janvier1 nous vîmes des poules mauves², des goëlettes, des loups marin* & du goêmon. M. Marion fit sonder à six heures du soir, & l’on ne trouva pas de fond, quoiqu’on eût filé 130 brasses de cordes³. A huit heures du soir on cargua* la grande voile. Nous fîmes route pendant toute la nuit sous les deux huniers & la misaine⁴. La mer étoit assez belle, le temps brumeux. Je remarquai qu’au soleil couché, les goëlettes & autres oiseaux de mer prenoient leur vol du côté de l’est & de l’est sud-est, ce qui annonçoit des terres dans cette partie.


* Hémisphère sud.

* Hémisphère nord.

1 Il doit s’agir d’une erreur d’écriture ou d’édition et la date doit être celle du 12 janvier.

² La poule mauve est identifiée comme un fulmar boréal (Fulmarus glacialis) ou pétrel fulmar, sauf qu’il ne peut se trouver dans le sud-est de l’Afrique. L’adjectif de couleur se rapporte à un nom normand qui signifie « mouette » ou « goéland ».

* Nom vernaculaire donné aux phoques.

³ Pour ce faire, un plomb de sonde a été lancé depuis le navire. Après avoir filé plus de 200 mètres, le plomb n’avait toujours pas touché le fond, preuve de l’inexistence d’une terre à proximité. La brasse est une ancienne mesure utilisée pour la longueur des cordages et elle équivalait à 5 pieds, soit 1,624 mètres.

* Serrer, replier.

⁴ Les huniers correspondent aux voiles gréées sur les mâts de hune au dessus des basses voiles, le mât de misaine est sur l’avant après le grand mât.

[Cap au sud]

          Notre navigation n’eut rien de remarquable depuis notre départ du cap de Bonne-Espérance, jusqu’au 7 janvier 1772, jour où l’observation de la latitude nous indiqua que nous étions dans le parallèle des îles de Dina & Marzéven. Ces îles sont marquées sur les cartes de Van-Ceulen, par la latitude méridionale de 40 à 41 degrés. Je ne sais pourquoi nos hydrographes modernes n’en font point mention. Ils ne devroient pas ignorer que plusieurs vaisseaux Hollandois en ont eu une parfaite connoissance : on m’a même assuré que ces îles sont bien boisées, & qu’on y trouve de l’eau1.

          Notre longitude estimée étoit le 7 janvier de 20° 43’ à l’orient du méridien de Paris. Nous vîmes le lendemain un grand nombre de goëlettes*. La vue de ces oiseaux nous fit conjecturer que nous n’étions pas fort éloignés des îles dont nous venons de parler. La mer étoit fort changée : elle étoit grosse & le vent violent. Nous quittâmes ce parage le lendemain 9 janvier, persuadés que la recherche du continent austral devoit uniquement fixer notre attention.


1 Johannes van KEULEN (1654-1715) est un cartographe d’Amsterdam dont les productions (atlas et cartes marines, pilotes de navigation) sont très réputées. Néanmoins, l’existence de ces îles consignées par le célèbre Hollandais n’a pu être prouvée par la suite qu’en les assimilant aux îles de l’archipel du Prince-Edouard découvertes probablement en 1663 par le navigateur hollandais Barent Barentszoon LAM à bord du Maerseveen.

* Espèce d’oiseau de la famille des laridés aussi appelée hirondelle de mer ou sterne pierregarin (Sterna hirundo).