DISCOURS PRÉLIMINAIRE

par jphilipperoze

Dont le lecture est indispensable pour rectifier quelques articles importans de la Relation de ce Voyage.

          LA fin tragique de M. Marion, officier aussi recommandable par son aménité que par ses talens, est connue ; mais les détails de cet horrible événements ne le sont pas ; on a cru devoir les rendre publics ; il eût même été à désirer que la Relation d’un Voyage aussi intéressant que celui de M. Marion, n’eût pas tardé si long-temps à paroître. Ce Voyage, ainsi que celui de M. de Surville, fait honneur à la France, & on en peut tirer des avantages précieux pour les progrès de la navigation & de l’hydrographie. Au moment où cette Relation alloit paroître, l’Editeur a été informé que le commandant de l’expédition fut dévolu à M. le chevalier Duclesmeur, après la mort de M. Marion ; il est donc nécessaire d’avoir égard à la juste réclamation de cet officier, & d’avertir que, depuis la page 101 & suivantes, toutes les opérations postérieures à l’époque du 12 juin 1772, jour de la mort de M. Marion, regardent uniquement M. le chevalier Duclesmeur, aujourd’hui lieutenant de vaisseau. Le Lecteur verra sans doute avec plaisir que cet officier, qui s’est depuis très-distingué dans l’escadre aux ordres de M. le comte de la Touche-Tréville, quoique fort jeune alors, se conduisit avec autant de prudence que d’activité. Il s’assemble, après le massacre des François à la nouvelle Zélande, les deux états-majors des deux vaisseaux qui étoient sous ses ordres ; &, de concert avec eux, il prit les mesures les plus efficaces pour ramener à bord les gens de l’équipage, dispersés dans les différens établissemens.

          Il eut le bonheur de conserver, malgré les efforts des sauvages, tous les officiers, matelots & soldats qui n’avoient point été compris dans le massacre qui avoit enlevé à la France M. Marion, officier d’une grande distinction, MM. De Vaudricourt & le Houx, un volontaire, le capitaine d’armes & vindt-deux matelots.

          M. le chevalier Duclesmeur avoit été précédemment blessé en même temps que M. Marion, par les sauvages de la baie de Frédéric Henri, ainsi qu’il est rapporté, sans qu’il y soit nommé, à la page 30 de cette Relation. On voit encore à la page 15, que les vaisseaux le Mascarin & le Castries s’abordèrent. Le dernier de ces bâtimens étoit en panne : le Mascarin voulut passer de l’avant du Castries pour lui parler, manœuvre assez singulière, & qui ne peut être justifiée que par la nécessité, puisque communément le vaisseau qui gouverne passe de l’arrière de celui qui est en panne. Quoi qu’il en soit, la perte que le Castries fit de ses mâts de beaupré & de misaine, fut réparé en trois jours. Cet accident n’empêcha donc pas, comme l’a cru l’Editeur, M. le chevalier Duclesmeur d’assurer M. Marion qu’il étoit en état de le suivre : le vaisseau commandé par cet officier conserva même, après cet accident, l’avantage de la marche sur celui de M. Marion. Il assura si souvent & si positivement M. Marion qu’il avoit le pouvoir & la volonté la plus décidée de courir tous les hasards de sa navigation, qu’on ne peut lui imputer la route tenue constamment par M. Marion entre les parallèles de 46 à 47 degrés de latitude sud; & si M. Marion ne s’est pas avancé davantage dans le sud, c’est qu’il avoit sans doute d’autres raisons que celles de l’accident arrivé au Castries.

          Toutes les remarques sur la géographie & sur les mœurs des Indiens, sont tirées du journal de M. Crozet, qui, après la mort de M. Marion, prit le commandement du vaisseau le Mascarin, & resta sous les ordres de M. le chevalier Duclesmeur jusqu’à son départ des îles Philippines : on est encore redevable à M. Crozet des plans & des dessins dont cet ouvrage est enrichi. Les longs services & les talens connus de cet officier lui ont valu le grade de capitaine de brûlot à son arrivée en France.

          Quant au Voyage de M. de Surville, il n’a pas été possible d’en donner un extrait aussi détaillé qu’on l’auroit desiré. Ce navigateur parcouroit la mer du sud en même temps que le célèbre Cook : il partit du Gange le 3 mars 1769, & jeta l’ancre à la nouvelle Zélande dans une baie qu’il nomma de Lauriston, tandis que le capitaine Cook relevoit les deux pointes qui forment l’entrée de cette baie.

          Ces deux navigateurs n’eurent pourtant point connoissance l’un de l’autre. M. de Surville quitta cette terre, traversa l’Océan pacifique, & découvrit les côtes du Pérou le 4 avril 1770.

          L’Editeur attribue dans cette Relation le massacre des François à la nouvelle Zélande, aux hostilités commises par le vaisseau commandé par M. de Surville. Cependant la désertion d’un Nègre appartenant à M. Marion, a pu contribuer à soulever les Insulaires déjà révoltés d’un châtiment infligé à un de leurs camarades ; car, quoiqu’il soit dit, page 55, qu’on renvoya sans correction le sauvage qui avoit dérobé un sabre dans la sainte-barbe, M. Duclesmeur assure que ce sauvage fut mis au fer, & que ses camarades, épouvantés de ce traitement, s’enfuirent à la nage, en menaçant M. Marion de s’en venger.

          On ignore pourquoi M. Crozet a donné dans son Journal le nom de Mayoa à l’Indien d’Otaïti*, amené en France par M. de Bougainville, tandis qu’il a été généralement connu sous celui d’Aoutourou.


* Tahiti